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La Méditerranée comme réalité et comme idéal
Yannis Constantinidès
Deauville, le 26 septembre 2015
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La réalité méditerranéenne est aujourd’hui particulièrement triste, avec les traversées risquées des nouveaux boat people et les nombreux clivages, politiques et sociaux. Notre mer commune est devenue le cimetière de ceux qui cherchent un meilleur avenir et l’indispensable métissage culturel est plus que jamais en crise. Désormais étrangers les uns pour les autres, au sens de Camus, les Méditerranéens des deux rives se toisent avec méfiance, chacun se repliant sur son identité meurtrie.
Si le passé ne peut par définition nous servir de guide, on rappellera tout de même que l’unité de la Méditerranée n’est pas une vue de l’esprit ni une douce utopie, mais qu’elle a déjà été réalisée, à l’époque où la Mare Nostrum était une « fabrique de civilisation », pour reprendre la formule de Paul Valéry. Cet idéal ancien est peut-être voué à l’échec, mais il faut tout de même le maintenir comme horizon d’accomplissement. Pour l’Europe vieillissante et frileuse d’aujourd’hui, « le seul chemin est l’Orient ! », comme l’écrivait le poète grec Odysséas Elytis.
Inégalités face aux cancers en Méditerranée; entre préjugés et contraintes (L’exemple du Cancer du Sein chez la Femme)
Anas Alexis CHEBIB
Deauville, le 26 septembre 2015
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La méditerranée a donné naissance à ce que nous appelons aujourd’hui « La Civilisation Occidentale ». Les différents peuples méditerranéens anciens ou plus récents partagent plusieurs caractéristiques culturelles communes mais également les modes de vie et les mentalités.
Il est difficile de concevoir au 21ème siècle un avenir méditerranéen hors du temps ne tenant pas compte de la mondialisation des regroupements régionaux ; sans mutualisation et optimisation des moyens disponibles. La lutte contre le cancer du sein ainsi que la promotion de l’entraide féminine ne font pas exception. Les disparités structurelles et socio-économiques en méditerranée limitent beaucoup l’uniformisation de la prise en charges du cancer en général et celle du cancer du sein en particulier.
Le cancer du sein est le cancer féminin le plus fréquent. C’est la Première cause de mortalité par le cancer chez la femme.
En considérant l’histoire naturelle du cancer du sein, on constate que sa détection précoce à la phase infra clinique réduit les risques de dissémination métastatique. Pour ce faire, le gold standard reste la mammographie couplée à l’examen clinique.
Or, pour Les régions situées à l’est et au sud de la méditerranée c’est une opération lourde et coûteuse, qui requiert en plus, un personnel hautement qualifié, des lignes directrices et des protocoles. Elle nécessite l’organisation de l’information juste et adaptée de la population ainsi que la prise en charge des cas positifs et une organisation des soins. Ces régions partagent les mêmes barrières pour accéder à une prise en charge adéquate du cancer du sein. Les obstacles sont de deux types: A) sociales et culturelles marquées par le poids de la tradition et de la religion; par l’inégalité d’accès aux soins due aux conflits socio-économiques et par le manque de sensibilisation. B) obstacle d’ordre logistique : Les infrastructures (ressources matérielles et humaines) sont inadaptées ou absentes; absence formation académique et continue ; absence de pratique locale adaptée.
Une régression programmée des droits des femmes fait obstacle à la reconstruction et à la réappropriation de son corps par la femme méditerranéenne. Un nouveau discours religieux sans tabou contre les dogmes s’impose.
La prise en charge du cancer du sein en méditerranée doit s’inscrire dans un plan qui s’intègre le cadre du développement durable et commutatif ce qui ne peut pas se faire sans stabilité politique, économique et sociale.
Cancer du sein : « Je crains l’homme d’un seul livre »
Dominique Gros
Deauville, le 26 septembre 2015
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Face à un sujet, une problématique, une image ou tout autre objet qui incite à la réflexion, chacune et chacun d’entre nous pense avec. Il pense et parle avec ce qu’il est. Il pense avec son histoire, sa culture, ses valeurs, ses traumatismes, ses amours et ses haines, son corps, son ça, son surmoi. Ce qu’il pense est un tout. Ce tout lui ressemble et s’inscrit dans sa singularité. L’intellect ne parle pas à la place du sujet. Il n’est ni neutre, ni autonome. Un système de pensée est toujours et d’abord l’expression d’un individu propre, mais cette réalité de la condition humaine est facilement oubliée, refoulée ou occultée. Il convient pourtant d’en connaître les limites pour en sonder la véritable portée intellectuelle.
Dans ce contexte, la philosophie peut nous aider à prendre de la distance vis à vis de nos propres jugements. Pour moi, cette discipline n’est ni la quête de la sagesse, d’un art de vivre ou de mourir, ni une technique de développement personnel. C’est d’abord la pratique de la distanciation critique et une réflexion sur les savoirs. Il s’agit d’avoir conscience que ce qui me semble évident ne l’est peut-être pas. Avoir conscience de la complexité des choses du monde et des affaires humaines. Avoir conscience que les réponses aux questions complexes et urgentes sont forcément tortueuses, demandent du temps pour expliquer et s’expliquer. Il s’agit de savoir douter – le doute non comme système, mais comme méthode. Savoir douter des autres et de leurs vérités et tout autant savoir douter de soi jusqu’à pouvoir penser contre soi. C’est un exercice difficile de penser contre soi, contre ses opinions, contre ses préjugés. C’est souvent douloureux, mais c’est nécessaire pour mieux entrevoir le Vrai, le Juste, le Bien.
Timeo hominem unius libri – Je crains l’homme d’un seul livre. Je crains l’homme d’un seul système, d’une seule idéologie, d’un seul point de vue, d’une seule culture – d’une seule vérité, la sienne. C’est ainsi que j’interprète cette formule prêtée à Thomas d’Aquin.
Dans une œuvre intitulée Une manière de voir, l’artiste Damien Hirst figure un médecin pathologiste qui observe une lame histologique avec son microscope. Il est enfermé dans une cage, sans portes, sans issue, Il voit son objet – les cellules cancéreuses – à travers le prisme de son outil de travail et de son appartenance disciplinaire. Le microscope, en effet, est une manière de voir le cancer. Cette technique ne dit rien de la femme, de son histoire, de sa façon d’être au monde, dont la connaissance est pourtant nécessaire pour mieux la soigner et l’accompagner.
Cet isolement dans sa cage disciplinaire n’est pas spécifique au médecin pathologiste. Il concerne toute spécialité médicale ou non. Le cancer du sein n’est pas perçu de façon identique par le sociologue, le biologiste, l’artiste, le psychologue ou l’esthéticienne. Il n’est pas perçu non plus de la même manière par la femme malade ou par le médecin – et à l’intérieur du monde soignant, par le radiologue, l’infirmière, le chirurgien, l’oncologue ou le généticien. Cette œuvre de Damien Hirst est une critique du cloisonnement propre à la logique disciplinaire qui tend à l’autonomie et à la délimitation de frontières. Le spécialiste est l’exemple presque parfait de l’homme « qui sait presque tout sur presque rien ». Dit autrement : il sait tout sur sa discipline, mais rien de plus. Il connaît très bien son petit coin d’univers, mais il ignore radicalement tout le reste. C’est, en quelque sorte, un savant-ignorant.
Ainsi, chaque fois que nous demeurons enfermés dans notre singularité de soignant ou de bien-portant ou de malade, nous nous comportons comme un spécialiste qui risque d’être aliéné par son surmoi disciplinaire. Notre fabrication de la vérité en devient partielle et partiale.
Pour soigner un cancer du sein, encore faut-il au préalable s’interroger sur ce que représente un sein ? Qu’est-il pour cette femme : lieu d’identité, lien à l’enfant, objet de plaisir, pôle d’angoisse, partie du corps niée, occultée ou indifférente ? Et qu’est-ce qui change dans la vie d’une femme quand son sein devient cancéreux ? Cette blessure et cette cicatrice sont-elles intolérables ? Ou bien, acceptées au nom de la guérison ? Ce sein coupé, devenu absent, est-il la marque de l’identité perdue, le signe avant-coureur de la stigmatisation, la preuve de la finitude ? Qu’est-ce qui change pour le compagnon, pour lui qui n’a pas de sein – ou si peu et pas pour le même usage.
De même, que représente un sein pour le soignant qui le soigne, qui le regarde, qui le touche, qui le ponctionne, qui le coupe, qui le panse … ? Et pour la société, est-il un symbole érotique ou un organe précancéreux ? Existe-t-il pour fabriquer du lait, faire peur, servir de support à la publicité ? Quand il s’affiche nu publiquement, devient-il un instrument de pouvoir féminin et d’émancipation ?
La même question mérite d’être posée pour le cancer. Il importe de se demander ce que représente cette maladie pour la société, pour l’Institution médicale, pour les pouvoirs publics …
Par la diversité des thèmes et des intervenants, cette Journée organisée par l’Université pour la Méditerranée et l’Association Astarté à Deauville est une magnifique invitation à la transdiciplinarité. Etre transdisciplinaire, c’est aller à travers et au-delà des frontières des disciplines – de toutes les disciplines. En médecine, c’est se tourner vers les autres disciplines non médicales : sociologie, philosophie, littérature, art.
Etre transdisciplinaire, c’est aller au-delà de notre propre singularité et faire éclater ce qui nous sépare. S’agissant de la santé du sein, c’est quitter l’entre-soi : entre-soi des malades avec les malades, entre-soi des bien-portants avec les bien-portants, entre-soi des soignants avec les soignants, des employeurs avec les employeurs, des politiques avec les politiques … C’est œuvrer ensemble pour mieux comprendre cet univers du sein cancéreux et mieux soigner les femmes malades.
Toute aussi puissante soit-elle, la technique médicale ne suffit pas pour bien soigner. Concernant la santé du sein, cette transdisciplinarité est d’autant plus nécessaire que, par nature, le cancer du sein un objet complexe et transversal. Il touche à tout : au médical et tout autant à la condition humaine, à la définition du féminin, à l’utopie de la santé parfaite et aux limites de la science, au corps, à la vie relationnelle, à nos représentations, à la question du destin, à nos affects, à nos valeurs.
Cette Journée à Deauville est précieuse car elle est « trans » : transdisciplinaire, transculturelle, transgéographique, transreligieuse … Des écrivains, des artistes, des avocats, des philosophes, des poètes, des médecins, des informaticiens, des femmes et des hommes d’activités et de pays différents se sont rassemblés pour parler de sujets spécifiques : identité méditerranéenne, droits des femmes, santé du sein … Au-delà de leurs différences, ils apportent leurs visions pour mieux comprendre et mieux se comprendre.